Une vie ne suffirait pas pour raconter l’histoire de la cachaça ! Au Brésil, ce n’est pas qu’une spécialité, c’est un mode de vie à part entière. On la retrouve dans leur littérature, leur musique, leur politique, leur histoire, mais surtout sur toutes les tables. Elle est née des siècles d’esclavage dans les champs de canne et s’est imposée dans les milieux populaires avant de conquérir les tables de la noblesse.
Aujourd’hui, elle est un symbole de l’identité brésilienne. On a tendance à la confondre avec son cousin le rhum agricole, car ce sont deux spiritueux issus de la canne à sucre et les procédés de fabrication sont très similaires. Mais la cachaça, dont l’appellation est très contrôlée et l’aire de production strictement limitée au territoire brésilien, n’a plus besoin de faire ses preuves. Au Brésil, elle est à ce point devenue un mode de vie qu’on estime qu’un habitant en boit en moyenne 8 litres par an !
Nous vous proposons donc une escapade au pays de la Cachaça, au rythme de la célèbre Saudade qui en chante les louanges.
L’histoire de la cachaça au Brésil
C’est l’un des plus anciens spiritueux au monde. Avec ses cinq siècles d’histoire, elle existait dans sa version primaire avant le pisco du Pérou, la téquila du Mexique ou même le rhum des Caraïbes.
Son histoire commence au XVIe siècle, lorsque les colons espagnols débarquent au Brésil avec cette plante exotique venue d’Asie : la canne à sucre. C’est immédiatement un énorme succès d’exportation, et le début d’une grande légende coloniale en Amérique du Sud.
La légende raconte que dans les premiers moulins de canne à sucre à Itamaraca, les esclaves mélangent un vieux jus de canne à sucre fermenté avec une jeune mélasse. A cause de la fermentation, l’alcool de la mélasse s’évapore et vient se condenser au plafond de l’usine. Cette première ébauche de la cachaça tombe goutte après goutte sur les esclaves au travail, provoquant des regains d’énergie si par bonheur elle atteignait la commissure des lèvres, ou des sensations de brûlure si elle tombait sur leurs blessures. C’est ainsi qu’à partir de 1532 on crée le premier spiritueux issu des restes fermentés de la canne à sucre.
La tendance se répand dans le pays et commence à s’exporter. L’empire portugais essaye d’enrayer la propagation de ce « vin de canne à sucre », de peur qu’il fasse de l’ombre aux vins et spiritueux portugais : ils mettent en place une taxe d’imposition sur la production du spiritueux qui la rend inabordable aux plus défavorisés, puis en interdisent complètement la fabrication. En 1660, le peuple se soulève, et c’est la fameuse Révolte de la Cachaça ! La boisson du peuple devient un symbole de lutte pour l’indépendance du pays.
Au XIXe siècle, l’ère industrielle apporte de nouveaux idéaux. La cachaça redevient la boisson des pauvres, jugée sans valeur. Mais elle est toujours défendue par les intellectuels et les artistes brésiliens et occupe ainsi une place de choix parmi les spiritueux. Ainsi, lorsque finalement le Brésil décide de s’affranchir de l’Europe au XXe siècle, le « vin de canne à sucre » reprend ses lettres de noblesse.
Aujourd’hui, la cachaça fait officiellement partie du Patrimoine historico-culturel de l’Etat de Rio de Janeiro et son nom est protégé par la loi brésilienne. Cette dernière précise que la cachaça est une aguardiente de canne à sucre produite exclusivement au Brésil à partir de jus de canne fraiche qui doit, après fermentation, être distillée entre 38° et 48°vol. La règlementation autorise une adjonction de sucre jusqu’à 6 grammes par litre (à titre de comparaison, la loi européenne autorise une adjonction de sucre jusqu’à 20 grammes par litre pour la dénomination « rhum »). Plus de 1’500 producteurs et 4’000 marques sont répertoriés sur le territoire pour 1,5 milliards de litres produits par an. A noter que la cachaça se caractérise, le plus souvent, par une distillation artisanale dans de petits alambics familiaux non-répertoriés. Donc en réalité, on dénombre un nombre de producteurs plus ou moins officiels beaucoup plus importants.
Les spécificités de la cachaça et sa fabrication
La cachaça se caractérise par une méthode de production très artisanale. Le procédé de base est plutôt simple : on récolte et presse la canne à sucre pour en extraire le jus avec des presses rotatives, on filtre le jus pour le débarrasser des résidus et on le verse dans des cuves en bois ou en inox. On y ajoute, ensuite, des levures le plus souvent indigènes pour démarrer la fermentation qui sera, dans la majorité des cas, courte (24 à 48h). Une fois la fermentation terminée, on obtient, un « vin de canne à sucre », titrant entre 6 et 10% vol d’alcool prêt à être distillé. La distillation se fera, le plus souvent, dans des alambics à repasse (dit « pot still » où alambic charentais) artisanaux. On ne garde alors que le cœur de la distillation (les têtes et queues de distillation, respectivement chargées en méthanol et chargés d’impuretés, ne sont pas conservées) soit 70% environ, pour obtenir une version des plus pures avec un taux d’alcool compris entre 38° et 48°vol. Pour l’adoucir, on y ajoute parfois du sucre, jusqu’à 6 grammes par litre. S’il elle n’est pas vieillie, la cachaça est alors immédiatement embouteillée.
La cachaça, le rhum agricole brésilien ?
Comme leurs méthodes de production sont très similaires, on serait tenté de la considérer comme faisant partie de la famille du rhum agricole. En effet, si la matière première et la production diffère sensiblement des rhums de mélasse, les points communs avec le rhum agricole (Martinique, Guadeloupe, Réunion en tête) sont nombreux (pour de plus amples informations au sujet du rhum agricole, consultez notre article « Tout savoir sur les rhums agricoles »).
Tous deux sont issus de jus de canne à sucre fraiche (dénommé le « vesou » dans le cas du rhum agricole) mis en fermentation. La fermentation se fait dans des cuves similaires par adjonction de levure. Enfin, si l’on prend l’exemple du rhum agricole AOC de Martinique, tous les deux sont produits dans le cadre d’une règlementation stricte.
La principale différence intervient au moment de la distillation au niveau des alambics utilisés. Le rhum agricole est majoritairement distillé dans des alambics « colonne » (de type « créole » ou « savalle ») alors que la cachaça, comme nous l’avons vu plus haut, est distillée dans des alambics à repasse, le plus souvent, artisanaux. C’est donc à la sortie de l’alambic que la différence se fait donc sentir : le rhum agricole est distillé plus haut (entre 65° et 75° vol dans le cadre des rhums AOC Martinique) alors que la cachaça doit se situer entre 38° et 48°vol. Pour plus d’information à ce sujet, consultez la section « L’alambic et la distillation des rhums » de notre article « Quelle est la différence entre le rhum agricole et le rhum de mélasse ».
Enfin, le spiritueux brésilien passe plus rarement par la case vieillissement que ses cousins agricols Toutefois, lorsqu’il l’est, le vieillissement peut être réalisé dans des fûts constitués de pas moins de 25 essences de bois brésiliens. C’est la qualité de ces essences de bois qui va donner à la Cachaça « gold » sa couleur et ses arômes caractéristiques. Dans le cas du rhum agricole, le vieillissement se fait dans des fûts de chêne (obligatoire dans le cadre de l’AOC Martinique).
En définitive, si on exclu la phase de vieillissement, rhum agricole et cachaça sont donc plus que des cousins et, n’en déplaise aux puristes, peuvent être considérés comme frère et sœur issu de jus de canne frais fermenté.
Exemples de distilleries de cachaça et leurs spécificités
La cachaça n’a pas fini de se réinventer, et de nouvelles distilleries continuent à éclore. Les dernières prônent une authenticité retrouvée, et nous vous invitons à les découvrir.
Novo Fogo
Novo Fogo a ouvert en 2004 et défend une production éthique et vraie, dans le respect de la biodiversité. Ils ont opté pour une production minimaliste afin d’obtenir la meilleure qualité au naturel. Ici, tout est fait à la main et à échelle humaine : jusqu’à la canne à sucre qui est coupée à la machette dans les champs par une petite équipe. Située entre les montagnes et la mer et au cœur d’une des plus grandes réserves naturelles de l’UNESCO, les cannes sont imprégnées de senteurs de fruits et de bois, pour une cachaça organique.
Avua Cachaça
Cette distillerie est peut-être une des plus jeunes du paysage brésilien. Ici, on a recherché l’équilibre parfait entre la tradition et les progrès industriels. Ainsi, l’un de ses produits phares est Prata Cachaça, élaborée dans des cuves en inox et directement mise en bouteille sans vieillissement. Il s’en dégage des notes florales et toniques qui exaltent les cocktails et réveillent les papilles. La fabrication reste manuelle, et d’autres crus proposent vieillissement ou cuves en bois, mais cette nouvelle distillerie axe sa production sur un subtil mélange entre les atouts d’autrefois et ceux de l’industrialisation.
Cocktails à base de cachaça
Si elle se boit pure, il existe également de nombreux cocktails à base de cachaça de renommée internationale.
La Caïpirinha – Le cocktail national du Brésil
La Caïpirinha fait partie de l’histoire nationale du Brésil. Inventée dans les troquets populaires, la batida de Limao est originellement un mélange de cachaça, de sucre et de citron vert. Le terme même de Caïpirinha provient de deux mots portugais, caïpira et curupirinha qui signifient « paysan », ce qui marque bien l’estime dans laquelle la noblesse portugaise tenait le cocktail à l’époque. Et pourtant, elle vient tranquillement prendre place sur les meilleures tables brésiliennes après la Révolte sans perdre de sa popularité. Elle devient la Caïpirinha que nous connaissons aujourd’hui lorsqu’on y adjoint de la glace pilée.
La Batidas – le mariage de la cachaça avec les fruits tropicaux
La Batidas est lui aussi un des premiers cocktails brésiliens, peut-être même encore plus ancien que la Caïpirinha car il a été créé par les esclaves des exploitations de canne à sucre. Rappelons que la cachaça ne représente que le « cœur » de la distillation, soit 70% de l’alcool sorti des alambics. Les têtes et queues, de mauvaise qualité, étaient souvent jetées et donc récupérées par les esclaves. Pour adoucir le degré d’alcool, ils mélangeaient différents fruits et épices : orange, lait de coco, fraise, ananas, goyave, mangue, fruit de la passion… Les années ont fait de ce cocktail doux et réconfortant une offrande traditionnelle des esclaves brésiliens pour la fête des morts et les rituels. La Batidas est restée à peu près la même au fil des âges : un mélange de cachaça (désormais le cœur de distillat), de lait concentré et de fruits frais.
Le Fortaleza – Le mojito brésilien
Le Fortaleza est quant à lui une version revisitée du Mojito, très certainement importé de Cuba. Pour ce cocktail à base de cachaça, mélangez-y du soda au gingembre et du jus de citron vert. Comme pour la Caïpirinha, il se déguste de préférence avec de la glace pilée.
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